Au début de l’année 2021, Ebola est revenu hanter la Guinée. Mais contrairement à l’épidémie précédente, celle-ci ne trouve pas son origine dans un nouveau passage de la faune sauvage aux êtres humains. L’analyse du génome du virus montre en effet que cette souche est la même que celle qui a ravagé cette région d’Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. Cette résurgence d’Ebola, cinq années après la fin de la précédente épidémie, a des implications importantes en matière de santé publique, non seulement en Guinée mais aussi dans toutes les régions d’Afrique où sévit ce terrible fléau.
Retour en arrière : fin 2013, la Guinée est le point de départ d’une flambée épidémique d’Ebola qui se révélera être la plus meurtrière de l’histoire de ce filovirus. Ebola a en effet circulé en Guinée mais aussi dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment au Liberia et en Sierra Leone, jusqu’en 2016. Près de 29 000 cas ont alors été recensés, et plus de 11 300 personnes au total sont mortes. Mais début février 2021, voilà que le spectre d’Ebola réapparait dans la province de N’zérékoré en Guinée forestière, au sud du pays, non loin de l’épicentre de l’épidémie précédente. La réponse de l’État guinéen est immédiate et permet de contrôler rapidement la situation sanitaire. L’épidémie est déclarée terminée le 19 juin dernier avec 23 cas identifiés et seulement douze décès à déplorer alors que la précédente épidémie avait coûté la vie à plus de 2 500 Guinéens.
Un cauchemar revenu du passé
Pour déterminer l’origine de la souche virale impliquée, des analyses génomiques ont été entreprises indépendamment par trois laboratoires : d’abord, le Centre de recherche et de formation en infectiologie de Guinée, le Cerfig (voir aussi Encadré), en partenariat avec l’IRD et en collaboration avec l’Institut Robert Koch (RKI) de Berlin, ensuite le laboratoire du Projet des fièvres hémorragiques de Guinée (PFHG) en partenariat avec l’Institut Bernhard Nocht de médecine tropicale (BNITM) de Hambourg et enfin l’Institut Pasteur de Dakar au Sénégal.
Les résultats sont concordants mais ont surpris les chercheurs. « Il s’agit de la même souche que celle de l’épidémie précédente », explique Alpha Keita, microbiologiste à l’université de Montpellier/TransVIHMI et directeur adjoint du Cerfig. Ce qui exclut une transmission d’Ebola de la faune sauvage aux populations locales. Il est aussi peu probable qu’une circulation à bas bruit d’Ebola ait eu lieu depuis la fin de l’épidémie précédente. « Les virus évoluent en fonction des contaminations, explique Martine Peeters, virologue et directrice de recherche à l’IRD dans l’unité mixte internationale TransVIHMI. Or, ici, la souche virale présente très peu de mutations par rapport à celle de 2014. » L’hypothèse retenue par les chercheurs est donc celle d’une résurgence d’Ebola à partir d’un réservoir latent du virus chez un survivant de la précédente épidémie, au moins cinq ans après la fin de cette dernière. « Ebola peut sommeiller pendant plusieurs mois dans les fluides biologiques de certains survivants et être à l’origine de nouvelles chaînes de transmission, continue la virologue. L’étude PostEboGui 1développée par l’unité TransVIHMI et le Cerfig a ainsi confirmé que le virus est détectable dans le sperme et le lait maternel jusqu’à 18 mois après la guérison. » Des cas de résurgence d’Ebola à partir de survivants ont d’ailleurs déjà été documentés, comme récemment dans la province du Nord-Kivu en République démocratique du Congo. Pour autant, jamais une si longue période entre une épidémie et sa résurgence n’avait été mise en évidence.
Attention à la stigmatisation des survivants
Au-delà du fait que ces travaux démontrent la capacité de la Guinée à diagnostiquer Ebola et à caractériser le génome du virus, ils ont aussi des implications importantes en matière de santé publique. « Ce phénomène de résurgence à partir d’anciens malades d’Ebola, parfois asymptomatiques, est imprévisible, s’inquiète Alpha Keita. Or, il existe plus d’une dizaine de milliers de ces “survivants”, rien qu’en Afrique de l’Ouest. Il faudrait donc définir un protocole axé dans un premier temps sur les malades connus dans toutes les zones où sévit Ebola. Cela impliquerait notamment que les autorités sanitaires restent en alerte plus longtemps et, quand c’est possible, qu’elles prennent en charge les survivants sur le long terme. » En complément, des campagnes de vaccinations dans les zones touchées pourraient prévenir ou limiter les résurgences. Mais seul le développement d’antiviraux contre Ebola permettrait d’éradiquer le virus chez les survivants. Il est donc primordial que les autorités luttent contre leur stigmatisation – que les résultats de ce type d’étude pourraient exacerber – tant que ces traitements ne sont pas disponibles. « Lors de la précédente épidémie, de nombreux personnes ont perdu leur travail, ont été repoussées par leur famille et chassées de leur maison après leur guérison, rappelle Alpha Keita. Or, la lutte contre Ebola est un problème global, chacun doit se sentir concerné. Toute personne ayant été en contact avec Ebola pourrait d’ailleurs se révéler un réservoir caché du virus.» Des paroles qui, de nos jours, pourraient être appliquées à d’autres situations sanitaires.
CR : lemag.ird.fr