FAPEL une entreprise basée à Labé à 315 km de Conakry spécialisée dans la fabrication de pompes à eau et d’autres produits, a récemment développé des cuisinières fonctionnant à base d’huile de vidange pour contrecarrer les effets du réchauffement climatique. Dans un reportage publié sur la page Facebook de BODHEWAL, le concepteur affirme que ces cuisinières sont écologiques et économiques. Nous vérifions cette affirmation dans cet article.
Voici le lien du reportage : https://www.facebook.com/reel/404697895751056?fs=e&s=TIeQ9V&mibextid=xCPwDs
Jusqu’à présent, l’huile de vidange comme combustible n’était connue que dans les industries telles que les cimenteries. À Labé, grâce à l’entreprise FAPEL, elle est désormais utilisée comme combustible pour la cuisson. Cette entreprise a mis à jour des cuisinières qui fonctionnent à base d’huile de vidange.
Elles sont conçues à partir des matériaux locaux. Elles sont composées d’un petit réservoir sous forme de pot dans lequel on verse environ 1 litre d’huile de vidange qui s’achemine ensuite à travers un tuyau en fer vers le brûleur. On allume ce dernier à l’aide d’un tissu avant de mettre en marche un souffleur pour maintenir la pression.
Son concepteur prétend avoir mis en place cette innovation pour contrer les effets du dérèglement climatique, « Regardez aujourd’hui la température à Labé. Je me rappelle dans les années 90, 80, Labé même au mois de mars, c’est frais. Mais aujourd’hui nous avons une température dépassant même les 40 degrés et qui est dû vraiment à la coupe du bois, il faudrait chercher maintenant la solution vraiment pour pallier ça. », explique-t ‘il dans un reportage vidéo publié par la page Facebook BODHEWAL.
En effet, il prétend que la hausse des températures à Labé est le résultat de la coupe abusive du bois, qui a exacerbé le phénomène de dérèglement climatique. Pour cela, il a développé ces cuisinières à huile de vidange.
Pour lui, cette technologie va remplacer le charbon de bois qui entraîne la déforestation et également le gaz butane qui comporte des risques d’explosion dans les ménages. Elle se présente comme une solution pour réduire la dépendance au charbon de bois et du gaz butane. « Avec cette technologie, ça diminue beaucoup la coupe du bois ou l’utilisation du charbon de chauffe. Une cuisinière à base d’huile de vidange, de pétrole ou d’huiles de cuissons recyclées. Avec ces huiles, nous avons adapté un système sur des brûleurs avec un petit ventilo qui fonctionne avec un système hybride et aussi à l’électrique, et qui permet vraiment de préparer assez rapidement le riz et la sauce. Elle est deux fois, trois fois même plus rapide que le gaz, avec zéro risque d’explosion comme le gaz, mais aussi écologique et économiques », affirme le gérant de l’entreprise qui a fabriqué la cuisinière dans le même reportage vidéo publié sur par la page Facebook Bhodewal.
Vraisemblablement une initiative qui va dans le sens de donner de la valeur à ce type d’huile qui, généralement, se retrouve dans la nature.
Mais attention : qu’en pensent les scientifiques ?
Votre média, Universciences, a tenté d’en savoir plus sur la véracité de cette affirmation et son efficacité sur le plan écologique. Bien que certains scientifiques affirment qu’il est nécessaire de mener des études pour se prononcer, même s’ils sont catégoriques quant à la dangerosité de l’huile de vidange. Nous l’avons tout de même confronté avec un expert en sauvegarde environnementale qui précise qu’il faut l’aborder avec précaution.
D’abord, l’huile de vidange ou huile usée est une huile déjà utilisée dans un moteur de véhicule qui, au fil du temps, accumule des impuretés, des débris métalliques et des produits de combustion. Elle contient des éléments polluants, notamment des métaux lourds comme le plomb, le mercure, le zinc, et des hydrocarbures polycycliques aromatiques qui sont des sous-produits de la combustion incomplète des hydrocarbures et sont souvent cancérigènes. Ces éléments rendent l’huile de vidange dangereuse pour l’environnement et la santé. Elle fait partie des déchets dangereux, une seule goutte suffit à contaminer 600 à 1000 litres d’eau.
Elle est également un dérivé du pétrole, elle représente donc une énergie fossile responsable du dérèglement climatique, remplacer du charbon de bois ou le gaz par l’huile de vidange ne représente aucun intérêt ne serait-ce qu’à la valoriser, mais elle présente des dangers pour la santé et l’environnement.
« A ce titre, l’utilisation de ces huiles comme combustibles reste une initiative, peut-être même une innovation. Mais au niveau domestique, c’est une technologie qu’il faudra aborder avec beaucoup de précaution. Ces huiles contiennent des polluants qui, au contact du feu, vont se dégager dans l’atmosphère, contribuant à la formation de gaz excessivement dangereux pour la santé et pour l’environnement » précise Dr Abdoulaye Fall, expert en sauvegarde environnementale.
Comme l’explique son concepteur, les cuisinières à l’huile de vidange sont économiques, mais malgré cela, elles suscitent des interrogations quant à leur rôle écologique. « Que ce soit une huile qui permet de faire des économies en termes de gaz et de bois de chauffe, Oui, peut-être bien. Mais ne regardons pas seulement cet aspect économique ; il y a l’aspect environnemental qui doit primer si nous voulons aller vers des solutions durables. Je reste convaincu que c’est une huile qui va simplement contribuer à polluer l’atmosphère », affirme Dr Fall.
Pour Aïssatou Billy Sow, consultante en énergie renouvelable, il est nécessaire de faire une recherche à ce sujet afin d’évaluer la quantité de biomasse énergie évitée grâce à cette technologie et d’évaluer la pollution de l’huile.
L’huile de vidange est une substance inflammable, contrairement à ce qu’affirme le concepteur des cuisinières à huile de vidange, quand il affirme qu’elle représente zéro risque d’explosion comme le gaz butane. « On sait qu’une huile qui prend feu est difficile à éteindre. Si l’huile se répand, cela peut provoquer un incendie difficilement maîtrisables », précise Dr Fall.
Pour une meilleure valorisation écologique de l’huile de vidange, Dr Fall soulève deux options, dont la régénération de l’huile de vidange. « Il existe deux voies de traitement : il y a le traitement par régénération, qui consiste à récupérer les huiles usagées, à les débarrasser des impuretés, et à les réintégrer simplement dans le circuit comme nouvelle huile de vidange. La seconde voie est l’utilisation comme combustible dans les industries comme les cimenteries. Mais ce type d’utilisation est très souvent contrôlé, puisque nous savons que la combustion des huiles dégage beaucoup de polluants atmosphériques. Il est urgent de maîtriser ces émissions pour éviter que ces polluants ne se retrouvent dans la nature, contribuant ainsi à accentuer les gaz à effet de serre mais également des polluants qui sont excessivement dangereux pour la santé », précise-t-il.
Verdict : Non, contrairement à ce qui est prétendu par son créateur, la cuisinière à l’huile de vidange n’est pas bonne pour l’environnement car elle utilise une énergie fossile (le pétrole) pour fonctionner. Une énergie responsable du dérèglement climatique. Même si elle est réutilisée dans une logique circulaire, elle n’en demeure pas moins, être une énergie fossile qui comporte aussi des impuretés, et donc peut causer des problèmes sanitaires et environnementaux. Ces cuisinières à l’huile de vidange représentent une initiative économique mais sont également très dangereuse, surtout à l’échelle des ménages.
Ce reportage est réalisé dans le cadre du Projet Terra Africa piloté par CFI Media.
Ibrahima Sory Bah
