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Kush en Guinée : comprendre le trafic impliquant les forces de défense et de sécurité

En Guinée, comme dans plusieurs pays de la sous-région ouest-africaine, la consommation de la drogue appelée Kush est devenue une réalité quotidienne, touchant principalement la jeunesse. Si de nombreuses études ont souligné l’impact délétère de cette substance sur la santé des jeunes, un phénomène moins visible mais tout aussi alarmant s’est développé : l’implication de certains acteurs des forces de défense et de sécurité dans le trafic de cette drogue. À travers cette enquête, nous dévoilons comment le Kush entre en Guinée, un trafic impliquant les forces de défense et de sécurité.

Vendredi 11 avril 2025, aux alentours de 6 heures du matin, une voiture 4×4 immatriculée IT-0743-B, venant de Forécariah, s’est renversée à Manéah, dans la préfecture de Coyah. À l’intérieur, se trouvait de la drogue, mais le chauffeur et une passagère ont pris la fuite après l’accident. Des images circulant sur les réseaux sociaux montrent clairement la présence de la drogue dans le véhicule. Pourtant, tout au long de la nuit, des brigades de contrôle étaient déployées sur les routes.

Les contrôles et la complicité des forces de défense et de sécurité

Pour tenter de percer le mystère qui entoure le contrôle effectué au niveau des barrages de l’intérieur du pays, nous avons mené une enquête en observant le fonctionnement de plusieurs barrages routiers, en promenant notre caméra pour comprendre comment la drogue circule.

À 4 heures du matin, notre véhicule stationne devant le premier barrage à Coyah. Une scène intrigante s’est déroulée : une discussion étonnante s’engage entre un policier et notre chauffeur. Au final, le policier laisse passer notre véhicule sans contrôle, en échange d’une simple demande de documents.

« Je demande les documents, vous dites que vous allez à tel endroit. Ça, c’est des Guinéens ça, allez-y », nous dit le policier, avant d’ordonner : « Libérez ! » .

Plus loin, lors de notre passage devant le deuxième barrage, notre chauffeur a insisté auprès du policier pour faire contrôler le véhicule, qui n’était même pas équipé de plaques d’immatriculation à l’avant. « Non, c’est une voiture. Si elle n’a pas de plaque, vous devez vérifier. Il ne faut pas dire qu’il y a ceci et cela », affirme expressément le chauffeur.

Sur quatre barrages traversés cette nuit-là, aucun contrôle d’identité ni de fouilles de bagages rigoureux n’a été effectué.

Une implication profonde des forces de défense et de sécurité

Les témoignages recueillis confirment une implication préoccupante de certains agents dans la prolifération de la drogue Kush en Guinée. Au terme des négociations, un agent de sécurité, contacté anonymement par téléphone, nous confie : « La drogue passe chaque fois à la frontière entre la Guinée et la Sierra Leone. Parfois, quand il y a des saisies, nous ne savons jamais ce qu’il en advient. C’est la douane qui est censée gérer ça ».

Ce consommateur que nous appellerons Julien, rencontré dans une banlieue de Conakry, va plus loin en dénonçant les forces de défense et de sécurité, qui devraient empêcher l’entrée du Kush en Guinée, mais qui laissent faire, probablement pour l’argent. Certains d’entre eux vendent même la drogue aux jeunes. Dans certains endroits, ce sont même des militaires qui vendent le Kush.

« En principe, les forces de défense et de sécurité doivent faire leur travail. Ils ne doivent pas accepter que le Kush entre en Guinée. Mais pourquoi acceptent-ils que cette drogue entre ? Si ce n’est pas pour de l’argent ? Ils sont influencés par l’argent et ils ne peuvent pas accomplir leur mission », accuse-t-il avant d’ajouter :

« Ce sont eux qui font entrer la drogue, ils la vendent aux jeunes et quand on leur dit d’attraper les bandits, ils partent attraper les mêmes jeunes. Dans certains temples même, ce sont des militaires qui vendent le Kush ».

Pour essayer de comprendre l’implication des forces de défense et de sécurité dans la prolifération de cette drogue en Guinée, nous nous sommes rendus dans ce << temple >> en bordure de route. Là-bas, la consommation du Kush bat son plein. Il est 1 h du matin ce samedi. C’est notre jour de chance. Nous voyons clairement un individu habillé dans une tenue de militaire tenant un sachet de Kush.

Le directeur de l’institut chargé de la lutte contre la drogue souligne aussi d’autres portes d’entrée de cette drogue : « Surtout les débarcadères qui font face à la Sierra Leone. Elle passe par nos postes frontaliers. Malheureusement, nous avons des frontières qui sont poreuses. Cela permet aujourd’hui la pénétration des drogues, notamment le Kush ».

Une jeunesse en grande détresse face à l’addiction

Dans notre observation de terrain, nous avons rencontré des dizaines de jeunes pour qui le Kush est désormais omniprésent dans leur vie. Ils s’y adonnent quotidiennement, certains passant leurs nuits dans des lieux en bordure de routes, où ils consomment des joints à répétition. La vente de cette drogue se fait à environ 10 000 GNF la dose. L’addiction est telle que le manque provoque des douleurs physiques et psychologiques selon ces consommateurs. Pour eux, impossible de tenir longtemps sans fumer.

« C’est une mauvaise chose. Quand tu ne le consommes pas, tu ne seras pas à l’aise. Tu verras que tu as mal aux os, tu as des douleurs corporelles. Parfois même tes larmes coulent », témoigne Julien. Son ami ajoute : « Ce n’est pas une drogue, c’est un virus. Quand tu te réveilles le matin, tu n’as besoin de rien, si ce n’est pas cette drogue ».

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Un jeune en train de mélanger son joint de kush et du tabac, | Photo : Mansa Moussa Mara

Le Kush, problème de santé publique

Selon l’Institut itinérant de formation et de prévention intégrée contre la drogue et autres conduites addictives (IIFPIDCA), entre 2023 et 2024, 53 personnes sont mortes en Guinée à cause de cette addiction. Présente dans toutes les régions du pays, le Kush est devenu une problématique majeure de santé publique, surtout chez les jeunes.

« Aujourd’hui, la drogue Kush est une préoccupation nationale. Et c’est une drogue mortelle », déclare Thierno Barry, directeur général de l’IIFPIDCA.

Composé de cannabis mêlé à des produits chimiques tels que l’acétone, ainsi que de nitazènes, opioïdes synthétiques très addictifs et dangereux, le Kush provoque des effets graves, allant de l’agitation à la mort. « Lorsqu’on consomme la drogue Kush, déjà sur le plan physique, la personne est agitée, il y a une sueur abondante sur son corps et surtout la personne avale sa langue », explique le Dr Barry. Face à cette prolifération, une question cruciale se pose : qui est derrière la circulation de cette drogue en Guinée ?

Les voies d’entrée du Kush en Guinée

Les trafiquants utilisent principalement deux voies pour faire entrer le Kush : maritime et terrestre. La drogue est dissimulée dans les bagages, parfois même dans les pneus des véhicules. La Sierra Leone, pays frontalier souvent considéré comme un centre névralgique pour cette drogue en Afrique de l’Ouest, joue un rôle central dans cette circulation. Un chauffeur régulier de la route de Forécariah explique ses stratagèmes pour faire passer la drogue depuis ce pays frontalier.

« Si nous partons en Sierra Leone, ils font passer la drogue dans les pirogues. Après, nous restons en contact avec celui qui doit la recevoir à Conakry. Maintenant, je mets la drogue dans mon pneu de secours, il sera difficile de la trouver », raconte-t-il. Julien témoigne avoir vu des cargaisons de Kush débarquer au port artisanal de Boulbinet, situé à quelques mètres du palais Mohamed V, résidence du président de la transition.

« J’ai vu des pirogues débarquer cette drogue à Boulbinet. Et j’ai aussi vu une voiture venir livrer la marchandise de mon grand. Oui, j’ai vu ça. La drogue entre par la voie maritime et terrestre », affirme-t-il.

Le trafic de Kush en Guinée révèle des réseaux clandestins bien organisés, avec parfois la complicité de certains agents des forces de défense et de sécurité, et au plus haut niveau des institutions censées assurer la sécurité du pays. Pendant que les jeunes sombrent dans l’addiction, ces réseaux assurent la distribution de cette drogue mortelle, alimentant un cercle vicieux qui menace la stabilité et la santé publique du pays.

Mansa Moussa Mara

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