Au cœur des Journées Scientifiques PRISME-Guinée, tenues à Conakry les 21 et 22 octobre 2025, une présentation a particulièrement retenu notre attention : celle du Centre de Recherche en Virologie de Guinée (CRVG). Le Professeur Sanaba Boumbaly, Directeur général du centre, y a présenté des travaux sur la surveillance métagénomique du virus Lassa dans les préfectures de Guéckédou et N’Zérékoré.
Cette étude, expliquée au micro d’UniverSciences.com par le Dr Alimou Camara, enseignant-chercheur à l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry et Directeur général adjoint du CRVG, utilise la métagénomique pour mieux comprendre la fièvre de Lassa et d’autres virus émergents. Elle permet d’identifier plus précisément les agents pathogènes circulant en Guinée et renforce la capacité du pays à prévenir et répondre aux épidémies.
Une maladie silencieuse mais redoutable
Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 80 % des personnes infectées par le virus de Lassa ne présentent aucun symptôme ou seulement des signes légers.
Mais dans un cas sur cinq, la maladie devient grave et peut toucher plusieurs organes comme le foie, la rate ou les reins.
Un centre issu d’une coopération scientifique internationale
Le CRVG est né d’une coopération entre l’Université Gamal Abdel Nasser de Conakry et l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers (Belgique). Initialement simple projet de recherche sur les fièvres hémorragiques, il est devenu un centre de référence en virologie.
Aujourd’hui, le CRVG traque les virus responsables des fièvres hémorragiques grâce à la métagénomique. « Notre priorité, c’est la fièvre de Lassa, qui tend à devenir endémique en Guinée, avec plusieurs cas enregistrés chaque année dans la région forestière », explique le Dr Alimou Camara.
La région forestière, zone à risque élevé
Les préfectures de Guéckédou et N’Zérékoré sont considérées comme des zones d’émergence récurrente. Leur environnement : forêts denses, biodiversité importante et proximité entre faune et habitations humaines, favorise la transmission. Le principal réservoir du virus, le rongeur Mastomys natalensis, y est très présent. « Ces rongeurs cohabitent souvent avec les populations, surtout pendant les récoltes. C’est dans ce contexte que le risque de contamination augmente », précise le chercheur.
De la PCR à la métagénomique : un saut technologique
Jusqu’ici, le diagnostic reposait surtout sur la PCR, une méthode efficace pour détecter un virus connu. Mais cette technique a une limite : elle ne détecte que ce que l’on cherche. La métagénomique, elle, offre une approche plus ouverte. « Quand on introduit un échantillon, on ne cible rien de précis. La plateforme nous dit ce qu’elle trouve : Lassa, hépatite, VIH ou d’autres virus encore méconnus », explique le Dr Camara. Grâce à cette méthode, les chercheurs ont pu réanalyser d’anciens échantillons autrefois déclarés “négatifs” et y détecter le virus Lassa ou encore des peguivirus, encore peu connus.
Des résultats qui changent la compréhension des épidémies
Ces découvertes montrent que certains cas jugés “négatifs” l’étaient en réalité faute d’outils assez sensibles. « La métagénomique nous permet de poser un diagnostic plus complet et plus précoce. Elle révèle ce que nous ne pouvions pas voir », souligne le Dr Camara. Cette approche offre une meilleure compréhension des épidémies récurrentes et peut améliorer la prise en charge des patients atteints de fièvres inexpliquées.
Des chercheurs compétents, mais des moyens limités
Les laboratoires guinéens disposent aujourd’hui de scientifiques bien formés, mais manquent de ressources matérielles et financières. « La métagénomique coûte cher. Elle nécessite une alimentation électrique stable et des réactifs coûteux. Sans financement durable, nos efforts risquent de rester théoriques », déplore le Dr Camara.
Une science au service de la santé publique
Au-delà des résultats scientifiques, cette étude met en lumière l’importance d’une surveillance génomique locale et du renforcement des laboratoires nationaux.
Dans un pays ayant connu les épidémies d’Ebola et de Lassa, la capacité à identifier rapidement les virus est cruciale. Les travaux du CRVG illustrent la montée en puissance de la recherche guinéenne et son intégration dans la coopération scientifique internationale. « La métagénomique, c’est voir ce qui était invisible », conclut le Dr Alimou Camara.
Mamadou Kindy Bah













