À Forécariah, une formation s’est tenue du 19 au 22 mai 2025, pour renforcer les capacités des journalistes sur les enjeux environnementaux, avec une immersion édifiante dans l’une des zones les plus touchées par le changement climatique : à Bossimiya, dans la sous-préfecture de Kaback.
Dans le cadre du projet Afrikibaaru, initié par CFI Média, une dizaine de journalistes guinéens, spécialisés ou simplement intéressés par les thématiques environnementales, ont participé à un atelier de renforcement de capacitésdans la préfecture de Forécariah, à une centaine de kilomètres de Conakry. Pendant deux jours, les participants ont exploré les fondements lexicaux, scientifiques des changements climatiques sous la houlette du Dr Abdoulaye Fall, expert sénégalais.
Parmi eux, Mansa Moussa Mara, journaliste à Universcience.com, a salué l’initiative : « C’est un plaisir d’abord d’assister à cette formation grâce à mon média qui m’a choisi. Et pendant ces deux jours-là, on a abordé assez de choses sur les changements climatiques, notamment les lexiques fondamentaux liés aux Changements et je pense que pour nous journalistes qui aspirons à couvrir des questions liées au changement climatique, il est important pour nous de s’approprier de certains thèmes et de maîtriser certains accords internationaux que nous avons vus lors de cette formation-là ».
Cette formation vient combler un vide et va certainement renforcer la qualité des productions des journalistes sur les enjeux du changement climatique, mais aussi encourager plus de journaliste à traiter ces sujets souvent peu traités dans les médias locaux. « Je pense qu’il faut compter sur moi. Je vais maintenant beaucoup m’accentuer sur ces questions-là, parce que notre pays, la Guinée, est beaucoup touchée par ce phénomène » a précisé Mansa Moussa Mara.
Une immersion sur le terrain : l’exemple criant de Kaback
Après la formation théorique, les journalistes ont effectué une immersion à Bossimiya, un village côtier de la sous-préfecture de Kaback, considérée comme l’une des zones les plus touchées par l’érosion côtière en Guinée. Sur place, les traces de l’avancée de la mer sont flagrantes : terres agricoles englouties, digues effondrées, populations démunies.

Assis sur un sol jonché de déchets rejetés par l’océan, Kalla Touré, agriculteur, nous raconte la situation avec amertume : « Notre digue est détruite depuis plus de dix ans. Avant, on cultivait du riz en abondance, mais aujourd’hui ce n’est plus possible. Même la pêche est devenue impossible. On est obligés d’aller jusqu’à Maférinyah pour acheter du poisson. »
Un passé glorieux, une situation alarmante
Pour le Professeur Kandé Bangoura, océanographe et ancien chercheur dans la région, Kaback était autrefois un grenier à riz pour la Guinée. « Mon constat est extrêmement amer, puisque j’ai évolué ici entre 2011 et 2016. Avant cela, je connaissais bien cette localité, quand il y avait encore la digue, la grande digue de protection, Kabak, qui faisait la fierté de cette communauté et même de la Guinée. Parce que là, on produisait une grande quantité de riz, qui servait à alimenter non seulement les populations de Kaback, mais aussi une bonne partie du Conakry. »

Mais les différentes tentatives de reconstruction ont échoué, notamment à cause de choix techniques inadaptés. « D’abord, au moment où on a implanté une première fois la digue de protection, c’était entre 1975 et 1977. Il n’y a pas à l’époque l’étude qu’on appelait le changement climatique. On n’avait pas constaté l’élévation du niveau de la mer. La première fois, la digue a vécu cinq ans. Après, il y a eu quelques brèches et le projet continue toujours à restaurer ces brèches. Quand le partenaire chinois est allé, il y a eu maintenant l’arrivée d’une autre société, Razel, qui a implanté une nouvelle fois la digue de protection, mais avec des conteneurs ».
Ces conteneurs métalliques, avec du sable à l’intérieur, plus une vase, n’ont pas non plus survécus. Ils se sont érodés, des brèches se sont créés. En 2016, une autre société a voulu reprendre la rénovation, la restauration de la digue, mais qui n’a toujours pas abouti. « C’est les reliques que vous voyez comme ça avec l’implantation des troncs de palmiers qu’on a alignés tout au long de la côte » explique l’océanographe indexant du doigt le reste de la digue désormais en peine mer.
Des solutions durables, pas des déplacements forcés
Fort de son expérience, le professeur Bangoura plaide pour des solutions pérennes, adaptées aux réalités locales : « Vous savez, les communautés, pour les faire déplacer, c’est un problème. Même si c’est pour leur bien, il faut toujours expliquer et sensibiliser » a-t-il proposé.
Kaback, un révélateur des effets du changement climatique
Le Dr Abdoulaye Fall, enseignant-chercheur à l’Université de Thiès au Sénégal et consultant environnementaliste, rappelle que Kaback est loin d’être un cas isolé: « Ce qui se passe ici est une conséquence directe de la montée des eaux et de l’érosion côtière. Cela affecte les populations et détruit des écosystèmes comme la mangrove, qui est un véritable berceau de la vie marine. »
Il alerte également sur la pollution plastique qui provient de Conakry, voire de Freetown, et qui menace sérieusement cet écosystème fragile. « Je crois que, si je ne m’abuse, ces déchets, je vois des îles un peu à côté. Il y a la ville de Conakry, de Freetown qui n’est pas loin. C’est des déchets qui viennent là-bas. Ça veut dire qu’il y a un travail à faire, en amont, si on veut protéger cette zone. Parce que ces déchets-là vont aller dans la mangrove. Cette mangrove est une niche écologique. Tout ce qui est crustacé va se développer au niveau de cette mangrove. Les crevettes, les petits poissons s’alimente sous la mangrove. Donc c’est une zone vraiment de développement de la biodiversité ».
La pollution plastique constitue une réelle menace pour ces poissons et même pour la mangrove. En les étouffant, il n’y a pas d’oxygène et la plante peut mourir. La mangrove forêt tropicale, est un milieu sensible, mais important pour la communauté. Sa destruction va diminuer la quantité de production de crêpes, de poissons.
Un appel à l’action collective
Cet atelier a permis non seulement aux journalistes et aux aspirants des questions environnementales de se professionnaliser, mais aussi de témoigner, sur le terrain, de l’urgence climatique dans des localités comme Kaback, où les effets du dérèglement climatique sont déjà une réalité quotidienne.
Cet article a été rédigé dans le cadre du Projet Afrikibaaru 2, mis en exécution par CFI soutenu par l’Agence Française de Développement (AFD).
Ibrahima Sory Moudias Diallo